Extraction

l’Œil de Poisson (grande galerie), 28 octobre au 4 décembre 2022
Installation, sculpture, impression numérique













À travers ses plus récents travaux, Morgan Legaré s’intéresse aux mécanismes bilatéraux entre l’automatisation et le contrôle. Véritable spécialisation en contrôle industriel, l’automatisation est un procédé visant à accroître la rentabilité, ainsi qu’à garantir la quantité — et la qualité — de production au moyen de technologies avancées. Selon les rouages de ces systèmes techniques, l’artiste crée de façon contre-productive avec un logiciel d’exploration 3D afin de contester des pratiques déshumanisées par l’automation.


Les expérimentations bi-tridimensionnelles du corpus Extraction, s’intègrent avec précision aux composantes architecturales du white cube de L’Œil de Poisson. Commissariée par Jean-Michel Quirion, cette première exposition en centre d’artistes pour Morgan Legaré s’appréhende telle une série de micro-chantiers. Par des interventions d’une imposante fragilité, bâties en profils d’aluminium extrudés, l’artiste édifie autrement l’espace. Une structure élevée au centre de la galerie agit comme un portail vers des interstices interreliés : de l’intérieur à l’extérieur, de l’instable au solide, de l’imperceptible au visible. Par le biais d’images aux effets illusionnistes, de stimuli matériels en textiles et de dispositifs-structures hors-normes, sortes de leurres protéiformes, Legaré détourne en des tours de passe-passe la perception de ce lieu vernaculaire de Méduse. Formes et fonctions entrent en tension.


Des assemblages et des moulages de fibres, réalisés de façon in situ durant la période de montage à L’Œil, se déclinent çà et là sur les supports d’aluminium et le sol bétonné. Les reliefs de textiles aux textures polymorphes sont figés en des négatifs. Les envers sont exposés. Les empreintes subtiles des profils métallurgiques se décèlent en un composite perméable. La matière, d’une stabilité précaire, s’élève et s’effondre.


Qui plus est, parallèlement à ces propositions, Legaré montre les images d’Extraction. Façonnées numériquement à partir de moulages réalisés directement sur les supports et de modélisations 3D préparatoires, celles-ci génèrent leurs propres variations de spatialisation et révèlent des interstices liminaux. Elles sont comparables à des (re)mises en abyme. Les extractions visuelles sont disposées dans la galerie comme des fenêtres donnant sur un Œil de Poisson reproduit virtuellement. L’œuvre Consonances intemporelles (2022), positionnée sur une cloison inclinée dans un recoin, est particulièrement attractive. Les reflets pixélisés, genre de perturbations causées lors du rendu de l’image, portent à croire qu’il s’agit d’un écran dysfonctionnel.


Cette installation rejoue habilement de la circulation et notamment de la contemplation. Les visiteur.euse.s sont captivé.e.s par les détournements matériels incarnés. Les œuvres relèvent de processus lents et de techniques obstinément ambitieuses, laborieuses et, de surcroît, parcimonieuses. Les procédés de réalisation, résultant de savoir-faire et de gestes appliqués, non automatisés, mais contrôlés par Morgan Legaré lui-même, sont saillants. Les pièces sont ainsi extraites de la logique productiviste devenue le précepte de l’industrialisation. Le présent corpus dé-reconstruit le conditionnement et l’optimisation. Celui-ci est immanent à ce qui se fabrique tant par les mains de l’artiste dans son atelier qu’à son écran.


Texte : Jean-Michel Quirion
Crédits photo : Charles Fréderick Ouellet